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EPIDEMIE DE CORONAVIRUS : CE QUE JE PENSE

EPIDEMIE DE CORONAVIRUS : CE QUE JE PENSE Spécial

La Coronavirose qui semblait si loin de nous il y a juste un mois s’est invité dans notre pays, devenant en quelques jours une réalité partout malgré les refus, dénis et rumeurs qui ont émaillé son entrée au Sénégal. Mesurant la gravité de la menace, notre système de santé s’était déjà préparé à cette éventualité et la riposte a été rapidement déclenchée avec une série de mesures.

Tout en saluant la mise en œuvre de ces mesures qui auront certainement des effets positifs, je pense qu’il nous faut cependant être plus focus sur nos interventions pour plus d’efficience. En effet la lutte risque d’être longue et âpre et nous risquons de nous essouffler rapidement si nous ne ménageons pas ensemble nos efforts.

Ainsi il me paraît important de mettre l’accent sur 4 actions : (i) Dépister systématiquement  tous les contacts, (ii) Tester des schémas thérapeutiques, (iii) Mieux adapter les mesures de prévention à notre contexte socio-économique et culturel et (iv) Renforcer la réponse communautaire.

                           

  1. Dépister systématiquement tous les contacts

L’une des premières conditions pour juguler une épidémie est d’identifier tous les cas, et de les prendre en charge précocement pour arrêter la chaine de transmission. Il est donc important de tester tous les contacts qu’ils soient proches ou lointains afin de détecter les porteurs du virus et de les isoler rapidement pour un traitement. Ceci est d’autant plus pertinent qu’au Sénégal il y a beaucoup de cas asymptomatiques (ne présentant de signes de la maladie) ou bénins(sans signes de gravité), pouvant passer inaperçus avec donc le risque de maintien de la transmission.

Pour ce faire il est impératif de multiplier et de décentraliser le diagnostic en impliquant d’autres laboratoires publics (laboratoire national de santé publique, laboratoires des hôpitaux de référence etc…) ou privés (IRESSEF ou autres..) en plus de l’Institut Pasteur en veillant à un bon maillage du territoire national.

 

  1. Tester la chloroquine et d’autres schémas thérapeutiques

Je salue l’initiative prise par le Ministère de la Santé d’utiliser la Chloroquine et l’Azithromycine en phase test. Cette piste basée (entre autres) sur des travaux du Pr Raoult nous semble intéressante et mérite d’être explorée dans nos pays africains car nous ne pouvons pas nous payer le luxe d’attendre un afflux de patients surtout de cas graves pour trouver une solution. Il nous faut anticiper sur les événements. Il nous faut donc tester ce protocole pour savoir s’il marche dans notre contexte. D’autant plus que nous avons une longue expérience d’utilisation de la Chloroquine au Sénégal mais aussi dans la conduite d’essais cliniques pour tester l’efficacité des traitements.

Par ailleurs au delà de ce traitement nous devons travailler en équipes pluridisciplinaires pour trouver d’autres alternatives thérapeutiques-avec toute la rigueur scientifique et le respect des principes d’éthique- car nous ne devons pas être en reste dans la génération de nouvelles connaissances et d’évidences à travers la recherche. Nous n’avons pas le droit d’attendre que les autres trouvent la solution pour l’appliquer comme dans le passé. Nous avons notre mot à dire.

 

  1. Adapter les mesures à notre contexte

 

En santé publique toute intervention pour être efficace et durable doit être acceptable et pour cela elle doit tenir compte des réalités sociales, économiques, culturelles et cultuelles du milieu. C’est pourquoi je crois que nous pourrions revoir trois mesures :

  • Le confinement

Il s’agitd’une mesure qui a fait ses preuves en Chine et elle est actuellement mise en œuvre,à des degrés divers, dans tous les pays affectés. La Chine avait opté pour un confinement total sur une partie du territoire notamment à Wuhan, tandis que dans les pays européens comme la France, l’Italie et l’Espagne c’est le confinement total généralisé.

Pour le cas du Sénégal il est illusoire de vouloir appliquer les mêmes procédés qu’en Europe pour des raisons évidentes de survie et de mode de vie mais aussi d’efficience. Il me semble plus approprié de faire actuellement un confinement partiel avec une mise en quarantaine systématique des communes où des cas sont déclarés. Dans ces communes les forces de l’ordre seraient alors déployées pour empêcher les entrées et sorties de populations et faire respecter les mesures édictées. Du personnel de santé supplémentaire sera alors déployé en cas de besoin pour appuyer la riposte.  Tandis que dans les zones non encore atteintes les contraintes de circulation seraient moins contraignantes mais réduites et contrôlées quand même. Cette stratégie aurait l’avantage d’une utilisation rationnelle des ressources humaines et matérielles des secteurs impliqués (santé, sécurité, défense etc…). Dans tous les cas les actions de prévention devront être conduites au même rythme dans toutes les localités du pays.

 

  • La disponibilité des moyens de prévention

 

L’adoption par les citoyens des mesures d’hygiène édictées nécessitera la disponibilité permanente du matériel et des équipements d’hygiène. Par conséquent, à l’instar du Rwanda, des efforts doivent être faits dans notre pays pour que dans les rues, ateliers, bureaux, transports, marchés, magasins et lieux publics, des points d’eau, des produits d’hygiène, gels hydro alcooliques, mouchoirs à jeter, poubelles etc…soient disponibles et que les citoyens soient toujours invités à se plier aux mesures d’hygiène. Le fonds de riposte et de solidarité doté de 1000 milliards (Force Covid 19) doit servir à financer cela et d’autres priorités de santé.

Cette disposition si elle est bien suivie permettra de changer les habitudes des sénégalais vers des comportements sains dont les bénéfices se poursuivront bien après la fin de cette épidémie.

 

 

  • La fermeture des lieux de cultes et notamment des mosquées

 

Même si elle se comprend, la généralisation d’emblée de cette mesure me semble prématurée dans le chapelet des actions de la riposte. En effet nous ratons ainsi une bonne plateforme pour éduquer, informer et sensibiliser les chefs de famille mais aussi tisser des alliances avec les religieux. Comparaison n’est pas raison mais le succès de la lutte contre le SIDA au Sénégal est passé par une forte implication des religieux dans la réponse. Dans mon expérience de spécialiste en santé publique, nous avons toujours utilisé avec succès les lieux de culte et en l’occurrence les mosquées comme des relais importants pour la gestion des épidémies. Ainsi à mon humble avis on pouvait utiliser ces lieux pour inciter les personnes au lavage systématique des mains et au respect des mesures d’hygiène et de distance, mais aussi les responsabiliser pour un recours précoce en cas de suspicion. Et enfin surtout en tant que pays de croyants, formuler des prières pour que Dieu nous allège de ce fardeau.

 

4.Renforcer la réponse communautaire

 

En santé publique nous avons l’habitude de dire : « les techniciens soignent la maladie mais ce sont les communautés qui la combattent ». Autrement dit le rôle des techniciens de santé c’est de traiter les malades et d’édicter des mesures de prévention mais il revient aux communautés de s’engager pour combattre la maladie.

Cet adage est valable pour la lutte contre le Covid-109. L’objectif c’est d’amener toutes les couches à s’approprier les mesures de prévention et à s’investir pour ne pas contracter la maladie et en cas de maladie être assez responsable pour ne pas contaminer son prochain.

Il s’agira encore une fois de leur faire comprendre que nous sommes tous engagés dans la bataille et comme des militaires au front nous devons tuer l’ennemi sans être tué mais aussi veiller à ce qu’aucun soldat de notre unité ne soit tué. Et pour cela il nous faut respecter scrupuleusement les ordres.

 

 

 Dr Sylla Thiam

Expert en santé publique et management de la santé

Secrétaire Général de l’Association Sénégalaise

des Professionnels de Santé Publique(ASPSP)

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