Le rythme de propagation de la maladie à Coronavirus s’accélère de jour en jour, accentuant la pression sur des services de santé déjà submergés par la demande quotidienne en soins liés aux pathologies courantes.
Depuis deux semaines (du 1er au 14 février 2021) le nombre de cas graves admis en réanimation se maintien au-dessus de 50, et oscille entre 53et63 patients. Durant cette période, 116 décès ont été enregistrés dans les formations sanitaires et déclarés par le Ministère de la Santé et de l'Action Sociale, soit un nombre moyen de décès journaliers de 9, avec des extrêmes de 3 et 12 (figure 1). A cela, il faut ajouter les éventuels cas de décès survenant à domicile et difficiles à quantifier en l'absence de confirmation post-mortem.
Figure 1: Evolution des cas en réanimation et des décès dus au Covid 19 entre le 1er et le 14 Février au Senegal
Cette situation laisse supposer un retard diagnostique et donc une prise en charge tardive dans les structures de soins.
Dans le cadre de la lutte contre l'épidémie au Sénégal, la vaccination est porteuse d'espoir comme partout dans le monde. Cependant son introduction ne doit pas être précipitée, et requiert une stratégie claire et adaptée qui garantie la sécurité et l’adhésion des populations. Toutefois, elle ne sera qu'une solution supplémentaire qui ne devra pas remettre en question la pertinence et le maintien des mesures barrières dans l'immédiat et même à moyen terme. Elle contribuera sans doute à réduire l'incidence des infections et des formes symptomatiques (surtout les formes graves, prioritairement ciblées), mais son impact se mesurera dans la durée, et il faudra compter avec les cas résiduels et la menace des variants actuels et peut-être à venir. Il faut, par conséquent, d'ores et déjà renverser la tendance en misant davantage sur les actions menées au niveau de la communauté.
La prise en charge communautaire est une stratégie ayant fait ses preuves dans la réduction de la mortalité des endémies comme le paludisme, et constitue un des moyens à privilégier pour réduire l'incidence des cas graves et participer à la sensibilisation de proximité des populations. Elle permet de soulager les structures sanitaires et de désengorger les services de réanimation. Cette stratégie repose sur une prise en charge précoce et rapprochée des cas par des agents de santé communautaires formés et appuyés par les professionnels de santé.
Il s’agira de mobiliser le potentiel communautaire (ASC, DSDOM, Bàjenu gox, …), qui fait la force du système de santé sénégalais, pour faire face aux décès évitables liés à la Covid-19. Ces agents communautaires formés seront équipés de quatre outils essentiels : (i) un thermoflash pour la prise de la température, (ii) un oxymètre de pouls (saturomètre) pour déterminer la saturation du sang en oxygène(indicateur important de gravité de la maladie), (iii) des kits de traitement, et (iv) un téléphone portable.
L’organisation se fera à l’échelle du district sanitaire et par zone de responsabilité, autour de l’Infirmier Chef de Poste (ICP) qui aura en charge une équipe d’agents communautaires appelés dispensateurs de soins à domicile (voir figure 2 en annexes). Ces derniers, recrutés à partir de leur localité de résidence, vont servir leurs propres communautés. Chaque dispensateur sera responsable d’une zone (carré de maisons, sous quartier, quartier, village…) où il fera des tournées régulières dans toutes les concessions deux fois par semaine. Dans chaque maison, les personnes présentant une fièvre seront évaluées à l'aide d'une fiche simplifiée, sur la base d'une notion de contage et de 4 ou 5 symptômes évocateurs de covid-19,puis classées en cas suspects ou non suspects. Les cas suspects seront systématiquement orientés vers le poste de santé où un test rapide sera réalisé par l’ICP. Si le test est positif, le patient est référé au niveau du centre de santé de référence pour un prélèvement naso-pharyngé destiné au laboratoire, et pour une évaluation clinique complète et éventuellement radiologique. Si le patient obéit aux critères de prise en charge à domicile, le dispensateur de soins se chargera de l’administration du traitement et du suivi du patient.
La surveillance à domicile visera essentiellement la détection des signes de gravité et la mesure de la saturation du sang en oxygène. Une attention particulière sera accordée aux personnes âgées et celles présentant des comorbidités. En cas de gravité ou d’anomalie quelconque, le patient sera référé au CTE le plus proche. L’entourage de chaque malade ou sa famille sera mise à contribution pour le suivi et le soutien au patient. Le lien entre le malade, le dispensateur de soins, l’ICP et le centre de référence sera maintenu grâce au téléphone qui sera également utilisé pour la collecte et la transmission en temps réel des données. Ces informations vont enrichir le système de surveillance déjà en place, par l’apport de données communautaires.
En outre, les mesures préventives et les mesures de protection seront strictement respectées à chaque étape. Enfin, les agents communautaires seront outillés pour promouvoir les mesures barrières au sein de la communauté lors de leurs visites à domicile.
Cette approche simple, peu onéreuse,déjà longuement éprouvée et basée sur une composante essentielle de notre système de santé, permettra de jeter les bases d’une intégration en routine de la gestion de la Covid-19 dans le système de santé et permettra de renforcer le volet communautaire qui semble encore timide dans les stratégies actuelles.
Dr Sylla Thiam
Expert en santé publique
Secrétaire Général de l’Association des
Professionnels de Santé Publique du Sénégal
Pr Masserigne Soumaré
Agrégé en Maladies Infectieuses
CHUN Fann, Université Cheikh Anta Diop de Dakar