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La souveraineté sanitaire : un enjeu majeur pour le Sénégal

La souveraineté sanitaire : un enjeu majeur pour le Sénégal Spécial

Les nouvelles autorités du pays ont inscrit leurs actions dans le cadre de la souveraineté nationale qui est devenue leur crédo politique. Une noble et exaltante démarche pour que le peuple retrouve sa pleine souveraineté qu’il a perdue depuis des siècles. La souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser. Elle se réfère à la capacité d’un État à exercer son autorité et à prendre des décisions indépendamment, sans être soumis à des influences extérieures.

Dans cette volonté de maitrise de son destin, le débat se focalise davantage sur la politique, la justice, la défense, l’économie, l’agriculture et l’éducation. Or la santé ne doit pas être en reste. Il s’agit d’un élément géostratégique à prendre avec beaucoup de considération dans le monde actuel. Atteindre la souveraineté sanitaire fait appel à plusieurs choses. Pour le cas du Sénégal, la question de la souveraineté sanitaire devra être abordée sous quatre angles : (i) La définition et le financement des priorités nationales, (ii) la promotion de l’industrie pharmaceutique, (iii) l’implication et le développement du secteur privé national, et (iv) le changement de paradigme

  • La définition et le financement des priorités nationales

 

A l’instar de la plupart des pays africains, notre système de santé est extraverti dans ses priorités et ses financements, les deux étant intimement liés. En effet les programmes prioritaires de santé sont financés à plus de 80% par des fonds extérieurs provenant des partenaires multilatéraux, bilatéraux, ou des ONG (les ONG servent souvent d’agents de mise en œuvre des partenaires multi et bilatéraux). S’il faut reconnaitre que ces financements ont aidé à faire reculer des maladies comme le paludisme, la rougeole, et bien  d’autres maladies infectieuses, il est évident que dans certains cas les priorités définies par les bailleurs de fonds ne reflètent pas les réels besoins du pays et détournent parfois l’attention des décideurs des vrais problèmes et urgences de l’heure. Par exemple les maladies chroniques (diabète, hypertension, cancer…) qui sont complexes et dangereuses, ne bénéficient pas du même niveau d’investissement et d’attention que les maladies infectieuses (comme le VIH, la tuberculose et le paludisme) et la planification familiale.

Dans le moyen et le long terme, il sera important de revoir nos priorités, de les aligner à nos besoins réels et de dégager les voies et moyens adéquats pour les financer. C’est seulement là que l’apport des partenaires pourra trouver la complémentarité nécessaire pour créer les résultats attendus dans l’amélioration de l’état de santé des populations.

  • La promotion de l’industrie pharmaceutique locale

La faiblesse du tissu industriel au Sénégal s’est traduite par une quasi-absence de l’industrie pharmaceutique. Résultat, le Sénégal importe presque tous ses besoins en produits, matériels et équipements de santé. Quatre-vingt-dix pour cent (90%) des besoins en médicaments sont importés pour un marché du médicament qui représente environ 150 milliards de FCFA par an. Il s’y ajoute que l’importation des médicaments est fortement dépendante du marché extérieur et de la fluctuation des prix. Aussi les crises mondiales à l’image du Covid19 ont montré les risques de la dépendance aux pays étrangers pour la fourniture de produits de santé.

Ainsi les budgets de médicaments sont difficilement maitrisables, ce qui expose le pays à des risques de perturbation de la chaine d’approvisionnement en cas de crises, des risques de rupture de médicaments et consommables à tout moment, mais aussi à une faible maitrise sur la qualité et la quantité des produits importés. Pour éviter cette situation de vulnérabilité, le gouvernement du Sénégal avait instauré le Plan de relance du secteur de l’industrie pharmaceutique en 2021. Ce plan visait à relever le défi d’une production locale de médicaments de 30% de notre consommation d’ici 2030 et 50% d’ici 2035. Les nouvelles autorités devront s’atteler à faire l’état des lieux et à mettre à jour ce plan pour l’accélération de la production et de la distribution locale de médicaments et de consommables permettant de créer une chaine de valeur et de la richesse, mais aussi in fine de réduire le prix des médicaments.

Ce plan revu devra être réaliste et réalisable. Il est évident qu’il sera difficile voire impossible, à court terme, de s’engager dans la production de machines complexes (comme celles utilisées dans des domaines comme la radiologie et la biologie). Toutefois il est tout à fait possible à moyen terme, de se lancer dans la production de médicaments, et consommables et d’outils chirurgicaux de base, comme le coton, les compresses, les aiguilles, cathéters, kits de perfusion intraveineuse, les kits d’instruments de chirurgie etc.

Le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale devra en collaboration avec le Ministère en charge du Commerce et de l’Industrie, encourager et encadrer les investisseurs locaux pour la mise en place de petites et moyennes entreprises spécialisées dans la production de matériel médico – chirurgical afin de réduire à moyen terme la forte dépendance de notre pays dans ce domaine. Pour cela, les machines-outils existent ; il suffira juste de stimuler l’entreprenariat dans le domaine et le faire accompagner par une politique volontariste de développement d’une véritable industrie locale de production de matériaux médicaux et chirurgicaux de base. Dans le cadre de cette vision, notre pays devra se donner les moyens de ne plus importer du coton, des seringues, des cathéters et du petit matériel de chirurgie. A cet effet, la création d’une structure chargée de la promotion et de la mise en place de telles unités de production devrait être mise en place. Le rôle de ce dernier serait de promouvoir les investissements, la recherche de partenariat technique et financier ainsi que l’accompagnement des acteurs.

Ce développement de l’industrie pharmaceutique doit intégrer la pharmacopée traditionnelle à travers la valorisation des évidences actuelles et une recherche dynamique sur les plantes médicinales. Enfin l’Etat doit accompagner ce développement avec des financements et des mesures incitatives en direction des promoteurs.

  • L’appui et la plus grande implication du secteur privé de la santé

Les prestataires privés sont une source majeure de soins de santé avec une offre diversifiée, y compris les services diagnostiques, pharmaceutiques, dentaires et les soins médicaux et chirurgicaux. On estime que le secteur privé représente environ 40 à 50% des prestations faites en direction de la population. Le secteur privé de la santé est généralement constitué d’entreprises individuelles développées sur financement propre. De ce fait, il est un acteur incontournable pour la concrétisation de la souveraineté nationale. Cependant les prestataires privés font face à des défis majeurs qui limitent l’impact de leur contribution dans le système de santé. Il s’agit notamment de leur faible intégration avec le système de santé publique, des paiements directs des patients, du manque d’accompagnement et de mesures incitatives pour stimuler le développement de ces entreprises et la création d’emploi.

Avec les orientations fixées par les nouvelles autorités étatiques sur l’appui au secteur privé national et la question de la souveraineté nationale, le secteur privé de la santé constitue un acteur majeur. Il représente également un atout dans l’amélioration de l’accès et de la qualité de l’offre de services de santé au profit des populations mais aussi pour le développement économique du pays en positionnant le Sénégal comme une destination pour le tourisme médical en Afrique de l’Ouest.

Pour ce faire, il est important de mobiliser plus de ressources pour développer le secteur privé en créant des facilités de financements à travers le système bancaire national pour les professionnels de la santé, mais aussi en ouvrant le secteur à d’autres investisseurs non médicaux. Une plus grande implication d’investisseurs privés dans ce secteur permettrait d'élever les niveaux de financement ainsi que les modes de gestion qu'appellent de tels investissements. En outre, l’octroi de subventions, à l’image des hôpitaux publics, ou d’autres mesures incitatives en échanges de la prise en charge des patients en urgence ou en routine à des tarifs raisonnables avec la transmission des données par le secteur privé, devraient être étudiés. Tout ceci devrait etre accompagné de la mise en place de systèmes de financement et d'assurance maladie innovants afin de garantir l'acces aux soins pour tous.

  • Changement de paradigme au sein de l’expertise nationale

 

Il est incontestable que pour mener ces réformes majeures, un changement de paradigme s’impose au niveau des décideurs et des experts de la santé chargés de concevoir les politiques et stratégies jusqu’au niveau des personnels de la santé en charge de les mettre en œuvre. Ces acteurs habitués depuis des décennies à adopter des politiques et directives verticales concoctées dans les officines de New York, Paris, Londres ou Genève, doivent changer de mode opératoire et avoir plus de discernement pour l’intérêt national en s’appuyant davantage sur des bases factuelles et le contexte local. C’est à ce titre que le développement de la recherche en santé devra être mieux financée et organisée avec la mise en place d’équipes pluridisciplinaires et complémentaires travaillant sur des sujets d’intérêt pour éclairer les décisions et accompagner la mise en œuvre des politiques de santé.

Enfin, prenant en compte le concept ‘’Jub, Jubal, Jubanti’’, la formation des ressources humaines qui constituent la pierre angulaire de ces transformations- doit être réadaptée pour produire le nouveau type d’agent de santé mieux outillé, mieux conscientisé et au service exclusif de ses concitoyens pour leur bien-être. La souveraineté signifie la maitrise de son destin. Elle implique une bonne connaissance des besoins pour produire ce dont on a besoin et consommer ce qu’on produit. La santé ne saurait faire exception à la règle.

Dr Moussa Thor                                                                                                 Dr Sylla Tihama  

Expert de Santé Publique                                                                  Expert en Santé Publique

Consultant international                                                                 et Management de la Santé

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