L’épidémie à coronavirus apparue le 2 Mars 2020 au Sénégal gagne inexorablement du terrain de jour en jour avec son lot de décès quotidiens. Officiellement, à la date du 29 Août 2020 le Sénégal a enregistré 13456 cas avec 282 décès soit une mortalité de 2,1%.
Ces chiffres ne représentent hélas que la face visible de l’iceberg. En effet avec la limitation des tests de dépistage aux cas symptomatiques et aux patients porteurs de comorbidités, beaucoup de cas asymptomatiques ou des cas n’ayant pas accès aux services de diagnostic ou ayant peur de la stigmatisation passent à travers les mailles du filet. Et en l’absence de données réelles sur la prévalence il est difficile de connaître le nombre réel de cas ni de faire des estimations fondées.
Il faut le dire, il est illusoire de vouloir faire reculer la maladie si on se focalise uniquement sur les gestes barrières (et principalement le masque) et le traitement d’une partie des malades. C’est donner du temps et de l’espace à la maladie pour étendre ses tentacules et faire plus de ravage.
En effet le dépistage et la prise en charge précoce de tous les cas est une des mesures principales de contrôle de toute épidémie pour rompre la chaine de transmission. Or avec la stratégie actuelle, la contamination ne sera pas interrompue car une bonne partie des cas contagieux demeurent inconnue et ces sujets vont continuer à être des vecteurs de la maladie. Pire, le faible accès au test diagnostique entraine le retard du diagnostic etpar conséquent les patients se présenteront de plus en plus au niveau des structures hospitalières à un stade avancé de la maladie, accentuant ainsi le risque de décès. De même les décès communautaires vont augmenter sans que le diagnostic post mortem puisse être établi. Cette situation n’est elle pas celle que nous vivons actuellement dans notre pays ?
Que faudrait il donc faire donc ?
Il est urgent, en plus de renforcer l’adoption de toutes les mesures préventives soutenue par une bonne communication, de :
- Instituer une prise en charge communautaire avec un dépistage actif des cas à travers une surveillance communautaire basée sur un algorithme simple permettant d’identifier les cas probables sur une base syndromique et de les orienter pour un test. A ce titre certains signes comme l’anosmie (perte de l’odorat) ou l’agueusie (perte du goût) pourrait être des symptômes à considérer dans le tri des patients. Les Agents de santé communautaires et les dispensateurs de soins à domicile,qui ont fait la preuve de leur efficacité dans le système de santé, pourraient constituer la cheville ouvrière de cette stratégie
- Mettre à l’échelle le dépistage des cas. Un Etat ne peut pas se refugier derrière « le manque de moyens » pour justifier la restriction des tests à certains groupes et dépouiller bon nombre de citoyens de leur droit d’être protégés et soignés. La situation s’empire, il faut sauver les sénégalais. Et pour ce faire il faut investir sur la démocratisation et la décentralisation des tests de diagnostic et ne pas en faire une chasse gardée pour une poignée de laboratoires pour l’essentiel localisés à Dakar. Même s’il faut reconnaître les efforts faits dans la décentralisation, il est important que tous les hôpitaux, centres de références ainsi que les laboratoires publics, parapublics et privés puissent offrir les tests et les populations encouragées à se faire tester dès les premiers signes.
- Responsabiliser la communauté en lui faisant jouer pleinement son rôle. Il s’agira entre autres (i) d’impliquer dans le combat les chefs et guides religieux de toute obédience, (ii) de mobiliser les organisations et mouvements féminins à la base, et (iii) d’utiliser les jeunes en l’occurrence les associations sportives et culturelles présentes dans tous les villages et quartiers du Sénégal, et à ce titre le mouvement « Navétanes » offre une grande opportunité. En effet en l’absence de compétition sportive cette année, ce vivier pourrait être mobilisé à travers le slogan « Navétanes COVID ».
- Eviter les opérations coup de poing et inscrire toutes les actions dans la durée et la pérennité. A cet égard la récente mesure prise par le Ministère de l’Intérieur de rendre obligatoire le port de masque, même si elle a eu le mérite de pousser les citoyens à porter leur masque, ne sera pas efficace dans le long terme car l’adhésion à cette mesure est dictée par la peur de la sanction et non par le souci de prévention. En outre elle peut constituer un facteur de rejet des mesures de lutte si le citoyen ressent une injustice ou une maltraitance dans son interaction avec les forces de police. Enfin les forces de défenses et de sécurité ne peuvent pas être mobilisés pendant des mois pour veiller au port du masque. C’est pourquoi il aurait fallu accompagner cette mesure d’un volet sensibilisation et éducation qui ferait par exemple que tous les sujets appréhendés suivent obligatoirement un programme de sensibilisation pendant 2 à 3 heures, à la place de l’amende.
C’est à ce seul prix que nous pouvons venir à bout de l’épidémie. Les pays qui ont réussi à inverser la courbe de la maladie ont investi dans le dépistage à grande échelle pour ensuite isoler les cas et les traiter en sus bien évidemment des mesures barrières et d’une bonne communication.
Le Sénégal n’a pas le droit d’être en reste et de faire des économies de bouts de chandelles qui risquent de prolonger la bataille et de nous faire compter encore des morts. Non! nous devons revoir nos options stratégiques.
Dr Sylla Thiam
Expert en santé publique
Secrétaire Général de l’Association des Professionnels de Santé Publique du Sénégal