L'étoile géante Êta de la Carène fut au centre d'une explosion observée en 1843, comme une supernova... sauf qu'elle a survécu. Des astronomes américains pensent avoir percé le mystère, dans un scénario impliquant une danse à trois astres et une violente fusion.
Eta de la Carène est l’une des plus chouettes étoiles de notre galaxie. De ce qu’on en sait aujourd’hui, elle est cinq millions de fois plus brillante que le Soleil, mais suffisamment loin de nous (entre 7 000 et 10 000 années-lumière de la Terre) pour qu’on ne la voie pas à l’œil nu. A l’article de la mort, Eta est gonflée comme une baudruche et pourrait exploser en supernova d’un jour à l’autre, nous offrant le spectacle d’un point aussi brillant dans le ciel que Vénus. D’ailleurs, ça ne serait pas la première fois : Eta de la Carène a déjà explosé… en 1843. Mais elle a survécu. Une fois dissipé le flash de l’éruption, on voyait encore une étoile ! Elle s’est faite très discrète durant quelque temps dans le ciel de l’hémisphère sud, puis s’est rallumée progressivement depuis 1940. Mais qu’est-ce qu’il se passe, à la fin ?
Enfin, on commence à comprendre. Des astronomes américains ont publié début août deux études qui lèvent le voile sur la vie agitée d’Eta de la Carène. Il est question de danse amoureuse entre trois étoiles, l’une suçant la matière de l’autre pendant que la troisième se rapproche jalousement jusqu’à faire voler le couple en éclats…
A l’écoute d’un écho
Il est malheureusement trop tard pour observer la lumière directe de l’éruption de 1843 avec nos télescopes modernes. On aurait sans doute compris beaucoup plus vite les tenants du drame qui venait de se dérouler dans le ciel, si on avait disposé des observatoires qui peuplent aujourd’hui les montagnes chiliennes. Heureusement, on peut toujours se le jouer en replay : les ondes émises par l’éruption ne cessent de rebondir sur la poussière interstellaire et d’arriver sur Terre des dizaines d’années plus tard, par vagues successives après des trajets très indirects, pleins de détours. C’est ainsi qu’on a enregistré, à partir de 2003, des «échos lumineux» de l’explosion du XIXe siècle.
«Un écho lumineux est la meilleure alternative que l’on ait au voyage dans le temps, résume Nathan Smith, astrophyisicien à l’université d’Arizona, qui dirige l’équipe planchant sur Eta de la Carène. Il nous donne la chance d’observer une éruption observée il y a cent soixante-dix ans avec nos instruments modernes et de comparer ces informations sur l’événement lui-même à la nébuleuse qui a été éjectée.» Car l’explosion a laissé des restes, sous la forme d’un nuage de gaz gros comme notre système solaire : la nébuleuse de l’Homoncule.
Ceci n’est pas une supernova
D’après l’analyse de l’écho lumineux, ces gaz ont dû être éjectés à la vitesse faramineuse de 10 000 à 20 000 kilomètres par seconde. On est loin des vents stellaires qui soufflent pépère, typiquement vingt fois moins fort, sur des étoiles de ce type. A ce niveau de violence, on pense à un autre phénomène : «On observe ces hautes vélocités tout le temps dans les explosions de supernovas au cours desquelles l’étoile est anéantie», note Nathan Smith.
Une supernova se produit quand une étoile très massive arrive en fin de vie : elle commence à épuiser ses réserves d’hydrogène, la pression augmente et l’étoile gonfle. Elle devient «géante», voire «supergéante» ou même «hypergéante» comme Eta de la Carène. Enfin, un jour, elle implose. Son cœur s’effondre brusquement et les couches externes de gaz sont violemment expulsées. L’éclat lumineux est tellement fort que l’étoile devient momentanément visible à de très longues distances – c’est pourquoi on les appelle (super)novae, du latin pour «nouvelles», car elles semblent apparaître dans le ciel alors qu’elles étaient jusque-là indétectables depuis la Terre. Après l’explosion, le gaz refroidit et l’éclat diminue. Il reste un grand nuage de gaz, qu’on appelle nébuleuse, et un résidu d’étoile incapable de briller.