La connaissance, une nouvelle contrevaleur
Hier, en choisissant la mauvaise voie, nos dirigeants nous ont conduit à la situation que nous vivons et dont nous avons du mal à nous sortir.
Là où les pays de l’Asie du Sud Est avaient investi sur l’éducation, la formation professionnelle, la science, la technologie, la recherche et l’innovation, notre pays, à l’image de beaucoup de pays africains, avait privilégié la politique politicienne dont le principal résultat est la persistance du sous développement et de la dépendance.
Effectivement l’Afrique était bel et bien mal parti.
Le secteur de l’éducation, de la formation et de l’enseignement supérieur est depuis les années de l’indépendance le secteur le plus instable du pays.
C’est comme s’il y a un diable maléfique qui s’évertue chaque mois, chaque année à semer la discorde et la violence pour que l’acquisition de la connaissance par notre peuple notamment notre jeunesse ne puisse jamais se faire correctement.
Là où en Chine les enfants se suicident après leurs échecs dans les examens ou concours, chez nous les élèves jubilent à la fermeture des classes, déchirent leurs cahiers, vandalisent leurs salles de classe.
Perdre une heure de cours n’émeut plus personne dans notre pays. Les grèves des élèves, des étudiants, des enseignants sont devenus monnaie courante.
La valeur savoir, connaissance et compétence a dégringolé à la bourse de la considération nationale et de la promotion par le pouvoir en place.
Le pouvoir en place dans sa marche résolue vers un régime autoritaire, la soumission idéologique des Sénégalais a installé à tous les niveaux la médiocrité comme moyen de promotion dans les positions les plus recherchées pour leurs rétributions et leur rayonnement.
En fait, il fait comprendre à chaque Sénégalaise et à chaque Sénégalais que vos parcours et vos diplômes ne servent à rien, ce qui compte, ce qui est plus important, c’est son adhésion à sa politique et son engagement à son maintien.
L‘époque où nos compatriotes s’extasiaient devant les diplômes et les parcours prestigieux de nos vaillantes élites intellectuelles est révolue.
Sous le coup de boutoir des promotions fracassantes de personnes venues de nul part, la réussite sociale de personnes sans aucun parcours connu, l’enrichissement rapide d’individus sans un passé entrepreneurial et héritage reconnus, la connaissance et la compétence avérées sont devenues une contrevaleur décriée à longueur de journée.
Combien de personnes à travers les médias, à longueur d’antenne, se valorisent d’avoir réussi sans diplôme, ni formation. Ils font comprendre à notre jeunesse que les études ne servent à rien. Pire les études longues constituent une hérésie.
Certes notre école n’est pas à l’endroit cependant sa nécessité est indiscutable.
Seuls les pays qui n’ont aucune ambition, qui orneront la banlieue déshéritée du concert des nations, négligent aujourd’hui l’éducation, les lieux de construction et de conquête de la connaissance.
Nos universités sont retournées à ce qu’elles furent: des espaces de gardiennage des bacheliers.
Le pouvoir a recommencé à bourrer les universités publiques de tous les bacheliers alors que leurs capacités d’accueil n’ont pas suivi. C’est une évidence que la massification dans les universités conduit inéluctablement à la violence dans l’espace universitaire et à la médiocrité.
La dépréciation de la connaissance et de ceux qui la portent au moment où tous les pays du monde se bousculent pour être les plus innovateurs, les plus accueillants pour les les meilleurs cerveaux, fait de notre pays un des plus grands cancres dans la compétition mondiale pour le bien-être des populations.
Lorsque seules quelques personnes s’émeuvent de l’extinction progressive des filières S1 et S3 dans notre pays, il est fort à craindre que la mort cérébrale guette notre pays.
Il n’est pas alors surprenant que lorsque la colère gronde, que la violence aveugle détruit sans discernement, que les lieux de connaissance soient les exutoires de ce torrent dévastateur.
Les lieux de connaissance sont désormais perçus comme des obstacles à la réussite, à l’accès à la richesse et des producteurs massifs de chômage et d’échecs.
La révolution mentale et culturelle est incontournable.
C’est elle qui fera que toucher un seul poil des temples du savoir sera un sacrilège.
Sans cela, les phénomènes répétitifs de profanation des écoles, des universités, demain des bibliothèques et des centres de recherche ne constitueront aucune surprise.
Lorsqu’un pouvoir promeut l’incompétence et que le peuple célèbre les ignorants, il est à craindre, qu’après les écoles et les universités, que la jeunesse brûle les savants.
Il n’est pas encore trop tard.
Il est encore possible de mobiliser toute la société pour reconstruire le pays autour des valeurs, de la connaissance et de la paix.
Un pays où les écoles sont profanées et les universités saccagées est un pays sans avenir.
Il est temps de tourner cette page lugubre de l’histoire de notre pays.
Dakar, jeudi 8 juin 2023
Prof Mary Teuw Niane